« Ernest Pignon-Ernest – Empreintes » au « Botanique », jusqu’au 10 Février

« Il m’a fallu quelques mois pour comprendre cette évidence qu’il ne m’était pas possible d’appréhender sur la toile ce qui se présentait là : ce tournant dans l’histoire de l’humanité. L’homme peut, avec le nucléaire, annihiler l’humanité, des centaines d’Hiroshima enkystés sous des champs de lavande. »
C’est ainsi qu’Ernest Pignon-Ernest (né Ernest Pignon/Nice/1942) s’exprimait en 1966, lorsqu’il apprit qu’à quelques bornes de son atelier, dans le Vaucluse, s’implantait, sur le Plateau d’Albion, la force nucléaire française, il décida d’agir, de réagir, d’une manière plus proche des gens, allant vers eux, là où ils vivent, … en oubliant de peindre sur toiles, afin de réaliser des images au pochoir sur de nombreux murs du Plateau d’Albion, … tenant à bouleverser les mentalités, à ouvrir les esprits sur la réalité du monde…
« Hiroshima »/1966 (c) Ernest Pignon-Ernest
… Il dénonçait ainsi les effets des bombes, collant sur de nombreux murs la silhouette d’un homme calciné par l’éclair atomique, à Hiroshima, déclarant ensuite : « Je n’ai pas mesuré alors quelle serait la portée de cette action. Evidemment, je n’ai pas pensé qu’inscrire ainsi une image d’homme à l’échelle un dans un lieu serait une espèce de permanence dans mon parcours à venir… Ce que je propose, c’est une intervention plastique dans le réel et les résonances symboliques, politiques, sacrées, mythologiques, événementielles, anthropologiques qu’elle suscite. »
Deux vues de l’accrochage au « Museum » du « Botanique » (c) « Instagram » (1) « RTBF » (2)
C’est un résumé de son parcours, en quelques temps forts, que nous propose, au « Museum » du « Botanique », l’exposition « Ernest Pignon-Ernest – Empreintes ». Ayant abandonné le pochoir pour pouvoir intervenir de façon provocatrice et démultipliée dans les villes, cet artiste a choisi le recours à la sérigraphie pour le caractère éphémère que celle-ci implique : elle peut être déchirée, effacée aussi par le temps…
En plein travail, en rue, la nuit, sans autorisation (C) Ernest Pignon-Ernest
… L’expo du « Botanique » nous permet d’ailleurs de découvrir quelques unes de ces oeuvres monumentales, représentations humaines à hauteur réelle, réalisées au fusain, à la pierre noire et à l’aide de gommes crantées de différentes épaisseurs, ce qui façonne les ombres. De nombreuses photographies, leur accrochage étant fort bien réussi, nous permettent de les voir, là où elles furent placées, de nuit et sans autorisation, par Ernest Pignon-Ernest
(C) Ernest Pignon-Ernest
Concernant le format de ses oeuvres, l’artiste déclare : « Si je les faisais plus grandes ou plus petites, ça serait comme des dessins exposés dans la rue. Là, l’idée c’est qu’elles s’inscrivent dans la rue, qu’elles en fassent partie, en inscrivant dans le lieu le signe humain. »
Autre citation d’Ernest Pignon-Ernest : « Ce que je propose, c’est une intervention plastique dans le réel et les résonances symboliques, politiques, sacrées, mythologiques, événementielles, anthropologiques qu’elle suscite. »
Ernest Pignon-Ernest, au « Museum » du « Botanique » (c) Laszlo Arany
Ainsi lors de la visite de presse, agrémentée par les commentaires du commissaire de l’exposition, l’auteur et critique d’art bruxellois, Roger Pierre Turine, l’artiste nous signala, qu’un soir, deux policiers l’approchèrent, alors qu’il collait une sérigraphie. Quelle ne fut pas sa surprise que bien loin de le blâmer, ils s’intéressèrent à sa démarche…
Photo monumentale, au « Botanique », de son hommage à Pier Paolo Pasolini (c) Ernest Pignon-Ernest
« Se torno, Pasolini assassiné »/2015, collé en deux autres lieux (c) Ernest Pignon-Ernest
Au centre de l’intéressante exposition du « Botanique », une photographie en couleurs, de tout grand format, nous restituant, à l’échelle 1/1, l’accrochage in-situ, en 2015, de son hommage à Pier Paolo Pasolini (1922-1975), assassiné sur la plage d’Ostie, près de Rome.
» Se torno (Si je reviens) – Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini » (c) Collectif Sikozel
A la vue des collages d’ Ernest Pignon-Ernest, présents sur les murs des lieux mêmes où ce célèbre poète-réalisateur italien vécut, le représentant portant, dans ses bras, son propre corps sans vie, les autochtones ne peuvent qu’exprimer leur profonde émotion, ce que démontre fort bien le film projeté, en fond de salle, au « Museum » du« Botanique » : « Se torno (Si je reviens) – Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini » (Collectif Sikozel/2016/60′).
« Jumelage Nice/Le Cap »/1974 (c) Ernest Pignon-Ernest
Parmi les autres photos présentées, celles relatant sa prise de position contre une décision, prise en 1974, par le conseil municipal de Nice, la ville où il vit le jour. Aussi, à l’occasion d’un jumelage de Nice avec Le Cap, capitale de l’Afrique du Sud, pays de l’apartheid, il colla, dans cette cité, des centaines d’images d’une famille noire parquée derrière des barbelés.
Sur les marches de Montmartre : « La Commune de Paris »/1971 (c) Ernest Pignon-Ernest
A découvrir, également, au « Museum », une photo de ses travaux posés sur les escaliers de Montmarte, où encore, à l’étage, sous vitres, quelques croquis et autres travaux préparatoires.
Outre ses interventions en France, en Italie et en Belgique, (à la « Maison de Rubens », à Antwerpen, en 1982), notons qu’il effectua ses collages à Santiago du Chili (1981), en Afrique du Sud (2002), à Alger (2003), ainsi qu’à Bethléem–Jérusalem–Ramallah (2009).
« Mahmoud Darwich »/2009, à Ramallah, en Palestine (c) Ernest Pignon-Ernest
Ne manquons pas de découvrir cette « Première belge, percutante, émouvante, poignante mais sans pathos, tant ce sont des vérités de la condition humaine qui sourdent des dessins à la pierre noire » (Claude Lorent, « La Libre Belgique »).
« Jean Genet »/2006 (c) Ernest Pignon-Ernest
… Et comme l’écrit Roger Pierre Turine : « Engagé politiquement et socialement, Ernest Pignon-Ernest développe un art qui cherche à bouleverser les mentalités, à ouvrir les esprits sur la réalité du monde (relatant) tous ces événements qui dénombrent des milliers de victimes, à qui il permet de sortir de l’oubli et de s’extraire du silence, par l’art de rue. »
« Ernest Pignon-Ernest restera jusqu’au bout celui que lafin des années soixante nous révélait en mode déjà majeur, un artiste résolument inclassable, parce que hors tout sentiers battus et rebattus… »
Le « Botanique » nous propose une seconde exposition, au sein de sa « Galerie » : « Michael Matthys – Le long Fleuve tranquille ».
De la Série « Les Nez Rouges » (c) Michael Matthys
Enseignant la bande dessinée, le dessin anatomique, la gravure et la lithographie, Michael Matthys – vivant et travaillant à Charleroi, diplômé de l’ « Académie des Beaux-Arts » de Tournai – nous présente « Les Nez Rouges », portraits d’anonymes, en maison de repos, se retrouvant afin de jouer aux cartes, affublés d’un nez rouge, … faisant un pied de nez à la mort.
Michael Matthys et Roger Pierre Turine (c) Laszlo Arany
Evoquant cette série, l’artiste parvient, en quelques traits rapides, à saisir la vie et l’atmosphère du lieu, déclarant : « J’ai attendu un moment avec eux, à écouter leur récit à propos de la fête de l’année dernière… Ensuite, je les ai regardés jouer encore pour gagner, toujours pour gagner ! »
De la Série « Déjà Mort » (c) Michael Matthys
Avec son autre série « Déjà Mort », nous découvrons des portraits, flous mais puissants – où la peinture se mêle au sang, à la terre et au charbon de Charleroi -, qui parviennent à capturer le mouvement, tout en évoquant la transformation de la chair en os. Pour lui, ils constituent « un écho lointain, (ne sachant pas) s’ils sont en vie ou déjà morts, mais (continuant) à danser quoi qu’il arrive… »
Yves Calbert.
Sources : (c) Roger Pierre Turine, (c) Violaine Pondard (« Street-Art-Avenue ») et http://www.pignon-ernest.com.
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