Vers un nouveau traité de l’Élysée 55 ans après

Dr Pierre-Emmanuel Thomann – OPINION
Les célébrations rituelles de l’anniversaire de la signature par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer du traité franco-allemand, le Traité de l’Élysée (22 janvier 1963), sont destinées à nous rappeler que le « couple franco-allemand est au cœur du projet européen. Angela Merkel et Emmanuel Macron ont affirmé vouloir élaborer un nouveau traité de l’Élysée pour approfondir la relation bilatérale, et relancer le projet européen.
Toutefois, à trop vouloir focaliser sur la symbolique et l’institutionnel, on en oublie la substance qui est de nature géopolitique. La réconciliation franco-allemande et le projet Européen ont dès l’origine comme aujourd’hui deux objectifs: atteindre un meilleur équilibre géopolitique franco-allemand et avoir plus de poids vis à vis des partenaires extérieurs.
Le traité de l’Élysée avait pour objectif de rapprocher les visions françaises et allemandes sur toutes les questions stratégiques, afin de s’épauler mutuellement pour gagner en autonomie géopolitique dans le contexte de la guerre froide, et le projet européen n’en était qu’un des aspects. Les visions géopolitiques de la France du général de Gaulle et de l’Allemagne d’Adenauer ne coïncidaient pas totalement: Les Gaullistes voulaient une relation étroite franco-allemande pour équilibrer aussi bien l’URSS que les USA. et faire du projet européen une « Europe européenne » tandis que les Allemands plus atlantistes avaient pour objectif un ancrage occidental avec les USA comme chef de file et l’Europe comme un sous-ensemble intégré de l’espace euro-atlantique, donc une « Europe américaine ».
C’est pourquoi les Allemands atlantistes (avec le soutien de Jean Monnet, lui aussi atlantiste et opposé à de Gaulle) ont ajouté un protocole au traité de l’Elysée pour affirmer la primauté de la relation USA-Allemagne sur la relation franco-allemande.
Le malentendu franco-allemand reste entier aujourd’hui, et varie en fonction des différentes présidences, chancelleries et gouvernements allemands et français. La fin de la Guerre froide a permis la réunification allemande et l’élargissement de l’UE à l’Est plaçant l’Allemagne au centre géopolitique de l’UE, tout en restant sous le parapluie nucléaire américain, et la France, faisant depuis se succéder des tentatives de rééquilibrage vis à vis de l’Allemagne par une fuite en avant de l’élargissement (la France a voulu accélérer l’élargissement à la Bulgarie, Roumanie pour contrebalancer l’Allemagne), a cherché a faire émerger une Union méditerranéenne pour se placer en pays charnière, espère renforcer la zone euro comme pilier plus autonome de l’UE et accélérer la coopération en matière de défense où elle est supposée avoir un avantage (le retour dans les structures intégrées de l’OTAN avait aussi pour objectif de renforcer la marge de manœuvre nationale).
Toutefois, aucune de ces initiatives n’ont réellement changé les déséquilibres qui se sont accélérés depuis l’unification allemande et fait évoluer le projet européen encore plus vers le pôle germano-américain.
Quelles sont alors les perspectives pour nouveau traité de l’Élysée souhaité par Angela Merkel et Emmanuel Macron ? Pour réussir à avancer de manière substantielle, ils devront d’abord se pencher sur les non-dits de la relation. Cela nécessite de clarifier les finalités géopolitiques de la relation bilatérale et du projet européen, donc les équilibres géopolitiques entre les deux nations mais aussi vis à vis des USA et de la Russie. (voir carte sur l’axe franco-allemand dans un projet européen renouvelé). In fine, il serait nécessaire alors de dépasser le protocole allemand du traité de l’Elysée afin de renforcer l’autonomie franco-allemande par rapport à la relation transatlantique. Dans le cas contraire, le nouveau traité de l’Elysée ne changera pas grand chose aux équilibres géopolitiques; Comme ni Angela Merkel, ni Emmanuel Macron ne semblent vouloir aborder ces questions de fond, ni avoir la volonté de les soulever, on peut prévoir que le nouveau traité de l’Elysée avec ses innovations à la marge, sera surtout un outil de communication politique sans faire bouger les lignes.
Dr Pierre-Emmanuel Thomann – géopolitologue- président -EUROCONTINENT
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