Les conséquences géopolitiques des élections allemandes pour l’UE

Dr Pierre-Emmanuel Thomann, géopolitologue, OPINION

Les élections législatives allemandes ont été marquées par une fracturation croissante du paysage politique en Allemagne, et une montée en puissance des partis désireux de défendre plus énergiquement les intérêts nationaux de l’Allemagne dans l’Union européenne.

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Les partis de gouvernement, la CDU, la CSU et le SPD ont subi des pertes importantes. C’est la conséquence d’un refus croissant des citoyens allemands d’une fracturation de la nation allemande sous la pression d’une immigration de masse après l’ouverture des frontières en 2015 par Angela Merkel,  des attentats islamistes, et de l’accroissement du nombre de travailleurs pauvres à la suite des réformes économiques libérales. Au niveau national, le score particulièrement élevé du parti AfD à l’Est du pays (12,6% au niveau national et 21,5 en ex-Allemagne de l’Est) souligne aussi la persistance des représentations différentes de la nation en Allemagne malgré la réunification allemande.

Puisque le parti d’Angela Merkel a réalisé le score le plus élevé, mais avec seulement environ un tiers des votants (32,7%) et un quart de l’électorat (25,1% avec l’abstention), une coalition  doit être négociée pour former un gouvernement avec la reconduction d’Angela Merkel comme chancelière. Les négociations s’annoncent très difficiles, mais la configuration la plus probable est une coalition entre la CDU, la CSU, les libéraux du FDP et les Verts, puisque Martin Schulz a annoncé que le SPD ne souhaitait pas renouveler une grande coalition et qu’aucun parti ne veut s’associer au parti AfD. Or le parti libéral FDP, qui a obtenu 10,7%,  a annoncé dès l’annonce des résultats, son refus des transferts financiers automatiques dans l’Union européenne. Cette ligne rouge pour les négociations d’une coalition de gouvernement est un obstacle majeur aux plan de relance franco-allemande et européenne proposé par le président français Emmanuel Macron qui a pourtant réaffirmé sa vision dès le lendemain des élections allemandes.

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Graphique: copyright Pierre-Emmanuel Thomann

      

La relance de l’intégration de la zone euro souhaitée par le président Emmanuel Macron doit être comprise selon une grille de lecture géopolitique et non pas uniquement économique, car elle touche à la question du pouvoir entre l’Allemagne et la France. Le clivage franco-allemand à propos de la zone euro n’est pas une difficulté politique conjoncturelle.   

Depuis la création de l’euro, les gouvernements français successifs on toujours souhaité couronner la zone euro d’un gouvernement économique pour opérer un rééquilibrage vis à vis de l’Allemagne avec la prépondérance mécanique des pays du Sud dans la zone euro qui compte aujourd’hui 17 membres. Le président français propose donc une Europe à plusieurs vitesses avec en son centre une avant-garde constituée d’un parlement, d’un budget et d’un ministre pour la zone euro.

Mais les Allemands, positionnés au centre géographique de L’UE depuis la réunification allemande et l’élargissement de l’UE, ne veulent pas se couper de leur flanc oriental et nordique. Leur intérêt consiste aussi à  exporter les règles ordo-libérales dans L’UE à 27. Les élections allemandes confirment qu’il n’y a pas de consensus en Allemagne pour s’orienter vers une « Transferunion », qui est la perception allemande du financement des pays du Sud par l’Allemagne au travers des mécanismes de solidarité de l’UE et sous l’impulsion d’un gouvernement économique, d’un mini-parlement et d’un budget de la zone euro, selon la vision française.  Les réformes libérales engagées par le gouvernement français pour regagner la confiance des Allemands en échange d’un renforcement de la zone euro pourraient se résumer à un jeu de dupes.   

La relance annoncée du couple franco-allemand ne pourra pas provoquer de saut qualitatif de l’Union européenne, car le moteur du projet européen est précisément la rivalité géopolitique franco-allemande mais aussi sa limite ! Le programme du président  français en ce qui concerne  la zone euro est donc largement illusoire, à moins de concessions de la part du gouvernement allemand en faveur d’innovations institutionnelles symboliques pour plaire aux Français, mais masquant la prépondérance des conceptions allemandes en ce qui concerne la zone euro et l’Union européenne. Si un compromis est finalisé au terme d’un nouveau bras de fer franco-allemand, il est fort probable que l’on assiste à un renforcement de l’asymétrie franco-allemande en faveur d’une Allemagne au centre du pouvoir géopolitique de l’Union européenne, même si elle peut être partiellement compensée par une relance ( trop timide) des projet européens de défense qui favorisent la vision française. Ce déséquilibre géopolitique croissant au sein de l’Union européenne renforcera les incertitudes sur l’avenir du projet européen sous sa forme actuelle, car son objectif principal était précisément de maintenir un équilibre géopolitique franco-allemand.      

Pierre-Emmanuel Thomann est un Docteur en géopolitique (Phd) et Président D’EUROCONTINENT (www.eurocontinent.eu),  l’expert des enjeux géopolitiques européens aux échelles nationale, continentale et mondiale : les relations franco-allemandes, les espaces euro-atlantique, euro-asiatique et euro-méditerranéen et africain, Russie, Asie centrale, défense et sécurité, géopolitique et économie, géopolitique des flux.

 

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