DES LETTRES ET DES PEINTRES: ROPS, ENSOR, MAGRITTE

René Magritte

Pour une semaine encore, jusqu’au 17 novembre, le « Musée des Lettres et Manuscrits », situé à l’entrée de la Galerie du Roi, nous présente une intéressante exposition nous montrant une centaine de lettres de quelques grands peintres, parmi lesquels Rops, Ensor et Magritte, mais également Alechinsky, Braque, Cauguin, Cézanne, Courbet, Dali, Degas, Delacroix, Dubuffet, Duchamp, Duffy, Ernst, Kandinsky, Klee, Léger, Manet, Miro, Modigliani, Monet, Picabia, Pissaro, Renoir, Sisley,Toulouse-Lautrec et Van Gogh.

Au fil des correspondances, où la petite histoire croise la grande, les artistes nous ouvrent les portes de leur vie privée, amicale, amoureuse et professionnelle, par le biais des mots et des dessins adressés à leurs proches, ces courriers apparaissent comme la plus pertinente introduction à leurs peintures, certains peintres donnant leur avis sur leur travail, voire celui de leurs collègues. Cette exposition, présentée à Paris en hommage à « Manet, Gauguin, Matisse », honore ici, à Bruxelles, « Rops, Ensor, Magritte ». Plusieurs peintures et gravures la rendent plus attrayante encore, lumineuse même. 

Ainsi, Modigliani écrivait à un astrologue, en 1916 : « Je t’écris pour ne rien dire ». De Toulouse-Lautrec, à sa maman : « Je suis toujours flemmard et j’attends l’inspiration ». Van Gogh, lui, signait : « Je trouve que vous faites de la musique avec vos paroles », ou encore sa missive à Van Rappart, en 1883 : « Je n’ai pu répondre à votre dernière lettre parce que au moment même de la recevoir (ou presque), je fus de nouveau mis en détention … Je dois m’arrêter à tout moment de peindre, à cause des frais, alors que, lorsqu’on se sert d’un morceau de craie ou d’un crayon, on ne doit faire face à d’autres frais qu’à ceux d’un modèle et d’un peu de papier. Le peu d’argent que je possède, je préfère le consacrer à des modèles plutôt qu’à du matériel de peintre, je vous l’assure ». De Gustave Courbet à Victor Hugo, en 1864 : « J’ai l’indépendance féroce du montagnard et on pourra, je crois, mettre sur ma tombe : Courbet sans courbettes ».

De Renoir à Monet, en 1888 ; « Je suis fort peu content de moi ». Du même Renoir, à Mallarmé, en 1894 : « Je voudrais vous parler de votre portrait, vous dire que je ne vous oubliais pas, mais j’ai mal aux dents. Voilà deux ans que j’ai de la fièvre, des frissons. Aussitôt cette idiote exposition nous serons plus tranquilles ». Toujours à Mallarmé, mais de Monet, en 1889 : « Dès que je veux faire la moindre chose avec des crayons, cela est absurde et de nul intérêt, par conséquent indigne d’accompagner vos poèmes exquis (« La Gloire » m’a ravi et je suis navré de n’avoir pas le talent nécessaire pour vous faire quelque chose de bien) ». De Monet aussi, à Manet, en 1879 : « Je ne sors pas et ne vois personne et ne puis m’occuper de vous comme je le désirerais ».

Claude Monet Reading (1872) by Renoir

Claude Monet peint par Renoir



De Gaughin (dont une aquarelle de 1895 est exposée) à Pissaro, en 1882 : « On dirait que le brouillard influe en ce moment sur votre moral, vous avez l’air de broyer du noir; je croyais que vous ne vous serviez plus de cette couleur ». A l’inverse, de Pissaro à Gaughin, en 1885 : « Votre tableau « La Vue d’une église » est très bien. C’est encore un peu terne. Les verts ne sont pas assez lumineux. Je suis sûr que vous aurez beaucoup changé au Danemark. Seul et livré à vous même, vous trouverez quelque chose de nouveau ». De Kandinsky à Pappe, en 1900 : « Cherchez la lumière, l’intensité, les couleurs. Comme dans la nature, il n’y a rien d’incolore, il n’y a rien de blanc, ni de noir, la couleur flamboie et brille partout, Dieu nous garde de la dédaigner. C’est en cela que la nature est le meilleur professeur ». De Duffy à un destinataire inconnu, en 1904 : « Je pense que l’influence de Manet, de Monet, de Sisley, de Renoir, de Degas, de Seurat et de Pissaro pèse trop sur l’art d’à présent pour qu’on puisse trouver l’indice d’une direction vraiment nouvelle ».

A noter encore, les « Tableaux de Comptabilité » de Magritte, non pas en peinture, mais comme lettre avec le détail de sa comptabilité, présenté de manière illustrée, en 1949. Egalement, dans une autre vitrine, en 1961 : « Si je pouvais parler de peinture aussi bien que vous le faites, je ne toucherais plus un pinceau ». ainsi que sa lettre à Marcel Mariën, en 1952, « J’attends toujours la lettre que vous m’aviez annoncée et qui devait contenir votre contribution à la carte d’après nature. Je suppose qu’elle s’est égarée en route ou que vous l’avez remise à plus tard? Cette contribution, j’espère la recevoir un jour ». En illustration, deux dessins, avec la mention : « Voici deux idées qui ont servi a faire deux tableaux récents ». Pour retrouver d’autres de ses lettres, n’hésitez pas de vous rendre au « Musée Magritte », Place Royale (http://www.musee-magritte-museum.be/).

Concernant Rops, soulignons la présence de sa célèbre peinture « Pornokrates » (1878) et d’une lettre recto-verso de … 16 pages, présentée intégralement, les versos étant des photocopies. Neuf dessins l’illustrent, dont les traits vifs et délirants se retrouvent dans son écriture, traduisant son sens de la dérision. Fort mélancolique, suite à une déception amoureuse, il déplore, ici, que la science et les médecins n’aient pu guérir sa maladie de cœur, écrivant : « Quand je pense que vous êtes trois millions d’imbéciles qui tripotaillez dans le corps humain depuis dix siècles et vous n’êtes pas encore arrivés à guérir un homme brun d’une femme blonde » … Nombre d’autres lettres si joliment illustrées sont visibles au « Musée Félicien Rops », à Namur (http://www.museerops.be/). 

Et là se pose toute la question des courriels rédigés au XXIème siècle. Aucune possibilité pour un peintre ou un dessinateur d’illustrer ses écrits. Quel dommage que le progrès affiche ainsi ses limites. Mais quel bonheur de pouvoir contempler ces lettres et ces dessins des XIXème et XXème siècles, grâce au « Musée des Lettres et des Manuscrits », dont l’actuelle direction est assurée depuis Paris. Celle-ci ayant abandonné l’alternance de grandes et petites expositions, durant des périodes réduites, au profit exclusif de grandes expositions,certes moins nombreuses, mais ouvertes pour une plus longue période. Ainsi « Des Lettres et des Peintres » était prévue du 12 juin au 13 octobre, avant d’être prolongée de plus d’un mois, jusqu’à dimanche prochain. Ne manquez pas cette chance de pouvoir encore la découvrir.

Prix d’entrée : 7€00 (tarif réduit : 5€00, enseignants : gratuité) Ouvert de 10 à 19h.00 du mardi au vendredi et de 11 à 18h.00, le week-end. Renseignements sur http://www.mlmb.be/.

Yves CALBERT

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