« Antoni Tàpies. La Pratique de l’Art », à « Bozar », jusqu’au 07 Janvier

« Autoportrait » (Antoni Tàpies/1950) © « Museo regional Moderno »/Cartagena
« Un voyage aussi spirituel et poétique que matériel », peut-on lire dans « La Libre Belgique ».
« Aussi passionnant que révélateur », selon « Le Soir« .
« Je suis un troubadour qui chante pour son peuple », aimait déclarer le peintre catalan Antoni Tàpies.

« Autoportrait » (Antoni Tàpies) © « Comissió Tàpies
« Si je peins comme je peins, c’est d’abord parce que je suis Catalan. Comme tant d’autres, je suis atteint par le drame politique de l’Espagne tout entière », écrivait-il, en 1967, lui qui fut influencé par les oeuvres de Max Ernst (Maximilian Maria Ernst/1891-1976), Paul Klee (1879-1940) et Johan Miro (1893-1983).

« Autoportrait à la plume » (Antoni Tàpies) © « Comissió Tàpies »
La même année, il confiait : « Il y a parfois, dans mon oeuvre, un hommage aux objets insignifiants : papier, carton, détritus, … La main de l’artiste n’est, pour ainsi dire, intervenue que pour les recueillir et les sauver de l’abandon, de la fatigue, de la déchirure, de la marge du pas de l’homme, de celui du temps … »

Une méthode de travail innovante d’Antoni Tàpies © « Comissió Tàpies »

« Panier à oeufs et journal » (objet-assemblage/Antoni Tapies/1990) © « Comissió Tàpies »
« … Je crois que je peux me considérer comme matérialiste, quitte à nuancer ce terme. Je veux l’imaginer à la lumière des connaissances actuelles, et passer d’une matière particulière, et passer d’une matière particulière à une matière généralisée. Ainsi, je voudrais arriver à changer la vision que les gens ont du monde : on peut, à partir de la connaissance de la matière, atteindre d’autres niveaux : éthique, politique, social. Peindre, c’est une façon de réfléchir sur la vie. »

« Croix et R » (Antoni Tàpies/1975) © « Fundacion Telefonica »
Douze ans plus tôt, en 1955, il écrivait :« L’artiste doit tout investir. Il doit se lancer, à corps perdu, dans l’inconnu, rejetant tout préjugé, y compris l’étude des techniques et l’emploi des matériaux considérés considérés comme traditionnels … »
… « Devant une véritable oeuvre d’art, le spectateur doit sentir la nécessité d’un examen de conscience, d’une révision de son domaine conceptuel. »
« La situation sociale et politique de mon pays a toujours eu une répercussion sur mon oeuvre. Je crois que cela est lié au fait que la conception de l’art pour l’art ne me semble pas valide« , déclara-t-il également.
Elevé par le Roi d’Espagne, en 2010, au titre héréditaire de Marquis de Tapiès, pour sa « grande contribution aux arts plastiques espagnols et mondiaux », Antoni Tapies (1923-2012) avait été fait « Docteur Honoris Causa » de l’ « Université des Arts », à Berlin, en 1979 ; du « Royal College of Art », à Londres, en 1981 ; de l’ « Université de Barcelone », en 1988 ; année où il fut, aussi, promu « Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres », à Paris ; et de l’ « Université Complutense », à Madrid, en 2003.

« Figure sur bois brûlé » (Toni Tàpies/1947) © « Comissió Tàpies »
C’est à l’occasion du centenaire de sa naissance qu’est organisée, à Bruxelles, au « Palais des Beaux-Arts » (« Bozar ») , la première grande rétrospective jamais organisée, en Belgique, de l’oeuvre de cet artiste de Barcelone, le commissaire étant l’artiste visuel espagnol Manuel J. Borja-Villel (°Burriana/1957).
Ne manquons pas de découvrir 122 de ses oeuvres, qui nous sont présentées, jusqu’au dimanche 07 janvier 2024, depuis ses premiers dessins et autoportraits des années ’40, jusqu’à ses travaux des années ’90, au cours desquelles il poursuivit son expérimentation formelle et matérielle, qui fut toujours au cœur de sa pratique, en passant par ses « peintures-matières » des années ’50, ses objets et assemblages des années 1960 et ses vernis des années ’80.
« Dukkha » (Antoni Tàpies/1995) © Coll. privée/Barcelona © « Comissió Tàpies »
Menant lui-même une vie méditative, sobre, presque monacale, dans son tableau « Dukkha » (« Intranquillité »), réalisé en 1995, il évoque les « Quatre nobles Vérités », éléments essentiels du bouddhisme : le chemin à parcourir de la souffrance, l’inconfort, l’intranquillité jusqu’à la libération et l’expérience de la réalité ultime.
En 1946-1947, Antoni Tàpies travaillait avec des matériaux « pauvres », sans rapport avec la pratique artistique traditionnelle (cordes, ficelles, graines de riz, papier hygiénique, …), recourant, fréquemment, à des techniques de collage et de grattage.
En 1948, il exposa pour la première fois dans sa Ville, Barcelone, où il devient, cette année là, l’un des membres fondateurs de « Dau al Set », un groupe artistique catalan d’avant garde, … abandonnant, un an plus tard, en 1949, ses études de droit. En 1950-1951, il participe, pour la première fois, à la « Biennale », à Venise, avant d’exposer, en 1953, aux Etats-Unis d’Amérique, une année durant laquelle, il se libère de la figuration.

Installation in situ (Antoni Tàpies) © « Bozar » © « Comissió Tàpies »
Artiste autodidacte de l’entre-deux-guerres, Antoni Tàpies prit le temps de réfléchir profondément à la condition humaine, à son propre contexte historique et à la pratique artistique, en particulier aux limites et aux contradictions de la peinture, son œuvre très prolifique étant dispersée de par le monde.
Participant, en 1966, à une réunion clandestine d’artistes et d’étudiants, en opposition au président espagnol Franco (Francisco Paulino Hermenegildo Teódulo Franco y Bahamonde/1892-1975), à sa dictature franquiste et réagissant à la guerre civile espagnole, Antoni Tàpies est arrêté …
… Et de déclarer : « Je veux inscrire dans ma peinture toutes les difficultés de mon pays, même si je dois déplaire :
la souffrance, les expériences douloureuses, la prison, un geste de révolte. L’art doit vivre la vérité. »

« Corps de Matière et Taches orange » (A. Tàpies) © Coll. privée/Barcelona © « Comissió Tàpies »
En 1990, il est à l’origine de la création de la « Fondation Antoni Tàpies », l’année où il reçoit le « Praemium Imperiale », à Tokyo, alors qu’en 1993, il publie « La Valeur de l’Art », remportant le « Lion d’Or », à Venise, pour son installation « Rinzen », exposée au Pavillon de l’Espagne.
A New York, deux rétrospectives lui sont consacrées, en 1992, au « Museum of Modern Art », et, en 1995, au « Solomon R. Guggenheim Museum », année où il reçoit, chez lui, à Barcelone, le « Premi Nacional d’Arts Plàstiques », accordé par la « Generalitat de Catalunya ».

« A la Mémoire de Salvador Puig Antich » (Antoni Tàpies/1974) © « Fundacio Antoni Tàpies »/« SABAM »
Soulignons que Toni Tàpies parvint à développer une infinité de textures et de reliefs sur ses supports picturaux, qu’il
appelait aussi « murs » (en référence notamment à son nom de famille. « Tàpies » signifiant « murs », en catalan). Il y intègre aussi de nouveaux matériaux tels que latex, émulsions, goudrons, appliqués en larges couches, créant ainsi une épaisseur, qu’il griffe, lacère, creuse.
Chez ce peintre catalan, un tableau devient un « champ de bataille », où le corps à corps avec la matière est palpable , rendant l’œuvre tridimensionnelle. Dans ces pâtes épaisses, Toni Tàpies inscrit et incise des signes graphiques et symboliques : triangles, cercles, croix, qui renvoient à des références archéologiques, mystiques ou historiques.
Pour l’artiste, ces murs sont comme des « talismans », d’une grande puissance évocatrice : « Tout se passe dans un champ bien plus vaste que le champ délimité par le format ou le contenu matériel du tableau. Celui-ci n’est, en effet, qu’un support qui induit le regardeur au jeu infiniment plus ample des mille et une visions, des mille et un sentiments … le ‘sujet’ pouvant donc se trouver dans le tableau ou bien n’être que dans la tête du spectateur », déclara-t-il
Son travail n’est donc pas uniquement une recherche sur la matière, mais explore également la perception de la réalité et de la nature humaine.

« Célébration du Miel » (Antoni Tàpies/1989) © Photo : Xavier Ess
Inspiré par des textes sacrés de l’Inde, dans lesquels le miel s’allie à la matière spirituelle de l’essence de l’univers et des êtres qui la composent. Ainsi réalisa-t-il, en 1989, sa « Célébration du Miel ».
Lisons, enfin, le propos du critique d’art et poète français Jacques Dupin (1927-2012) : « Graffiti, empreintes, traces, glyphes, Tàpies n’accueille le signe qu’insidieusement adultéré, et frappé de mutisme, devenu signe de non-sens, ou plutôt de l’attente de sens. Un tel signe est aussi un geste, semblable au geste emporté dont il balafre ses tableaux, le geste de désigner l’indéfini de toute attente, de barrer la déraison de tout espoir. Il inscrit l’inarticulé, et tout ce qui dans la mémoire commune, l’oubli commun, demeure flottant, suspendu, assoupi, les scories de la pensée et du sommeil, les bribes d’une langue éparpillée à portée de main. »
Ne manquons donc pas de visiter cette exposition, organisée, en collaboration avec « Bozar » et la « Fundació Antoni Tàpies », par le « Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía », à Madrid, prochaine étape de la présente exposition.

© « Bozar » © Illustration : « Comissió Tàpies »
Ouverture : jusqu’au dimanche 07 janvier, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 16€ (8€, pour les moins de 30 ans / 0€, pour les moins de 12 ans). Catalogue (Ed. « Bozar Books »/Manuel J. Borja-Villel & Antoni Tàpies/144 p./30 x 22,7 cm) : 29€80. Contacts : 02/507.82.15 & fieldcoordination@bozar.be. Site web : https://www.bozar.be/.
Yves Calbert.

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