Expo Fellini. Gent #gent #art #fellini
Après nous avoir présenté Stanley Kubrick, Ingmar Bergman, Jacques Tati et Martin Scorese, la Province de Flandre Orientale et le « Gentse Film Festival », avec le soutien de la « Fondation Fellini pour le Cinéma » de Sion (Suisse), nous proposent, jusqu’au 25 janvier, son annuelle exposition dédiée au cinéma, consacrée, cette année, à « Fellini », qui, un jour, écrivit: « Je n’ai pas choisi de devenir réalisateur, c’est le cinéma qui m’a choisi ».
C’est, ainsi, dans le cadre de l’ancien « Caermersklooster », actuel « Centre Culturel Provincial », situé au N° 6, de la « Vrouwebroersstraat », à proximité du « Gravensteen » (Château des Comtes), que nous sommes invités à revivre les 40 ans de carrière de Frederico Fellini (Rimini 1920-Rome 1993), des « Feux du Music-Hall » (1950/It./100′), réalisé avec Alberto Lattuada (1914-2005), à « La Voix de la Lune » (1990/It.-Fr./115′).
Si pas moins de 29 écrans, dont 13 de plus ou moins grands formats – l’un d’eux, étant placé dans une mini-salle de projection (47’ de larges extraits de 3 films) – nous révèlent ses capacités de cinéaste, Frederico Fellini (Rimini 1920-Rome 1923) nous surprend par l’étendue de ses talents, en dehors de la réalisation de ses films!
Ne fut-il pas, mais oui, caricaturiste pour d’anciens journaux … satiriques, du style de l’actuel « Charlie Hebdo »! Une quinzaine de ses caricatures sont exposées tout au long du parcours, de même que des copies d’une dizaine de pages d’un de ses deux « Livres des Rêves », l’un de ces livres comptables, devenus recueils d’oeuvres picturales, étant exposé dans la dernière salle. De fait, son psychanalyste, adepte des théories de Carl Gustav Jung (1875-1961), lui avait conseillé, de retranscrire ses angoisses, ses obsessions en les dessinant, ce qu’il fit volontiers de 1960 à 1990. Bien davantage que de simples dessins, entretenant et nourrissant son imaginaire, il réalise, parfois à la gouache, d’authentiques petites peintures, particulièrement soignées.
A noter qu’il caricatura, nu, seulement équipé d’un appareil photographique, son acteur Walter Santesso (1931-2008), dans le rôle d’un photographe du nom de … Paparazzo, … à l’origine de l’expression « paparazzi »… Des photos nous montrent, par ailleurs, quelques réactions outrées d’acteurs face à ces premiers « violeurs » de ce qui allait devenir le « droit à l’image », et ce lors du tournage de « La Dolce Vita » (1960/It.-Fr./174′).
Parlant photos, Fellini signa, aussi, des romans-photos, tel celui publié dans « Vogue » (déc. ’72/www.vogue.fr/diaporama/vogue-en-fellini), avec Marcello Mastroianni (1924-1996) dans le rôle d’un « Mandrake » fellinien, un thème qu’il aurait aimé porter à l’écran. Si ce projet ne put aboutir, notons, néanmoins, que son acteur fétiche portera le haut-de-forme et la cape du magicien dans « Intervista » (1987/It./105′), adaptation à l’écran d’un roman de Franz Kafka (1883-1924).
A proximité des trois cadres consacrés à « Mandrake », d’autres dévoilent le talent de dessinateur de BD de Fellini, présentant des planches de son story-board sur « Le Voyage de G. Mastorna », publié dans « Il Grifo » (1992/version en français chez « Casterman », en 1996), mais qui constituera un autre projet cinématographique inabouti! … Il avait pourtant dit: « Je le ferai, c’est le film que je préfère »! … Il l’avait d’ailleurs commencé! … Pour preuve, des séquences de ce début de film sont projetées sur un écran vidéo! …
Mais revenons, maintenant, aux films réellement portés à l’écran par Frederico Fellini, en n’oubliant pas qu’il aime dessiner les situations qu’il souhaite mettre en scène: « Au début de chacun de mes films, je passe la plus grande partie de mon temps à ma table de travail et je ne fais que gribouiller des fesses et des nichons. C’est ma manière de commencer mon film, de le déchiffrer à travers ces gribouillages ».
Après avoir visionné, sur un tout grand écran, une très attachante bande-annonce (4’52) de « La Cité des Femmes » (1980/It.-Fr./140′) dans la première salle, confrontation sur grand écran entre des scènes de « La Dolce Vita », avec une scène déjantée de rock, lors d’une soirée au « Caracalla’s », et de « Roma » (1972/It.-Fr./113′), avec, filmé dans une église, un défilé dévoilant une mode cléricale fellinienne (défilant par deux, des prêtres, les uns sur des patins à roulettes ou à bicyclettes, les autres portant des chasubles lumineuses, ou, toujours en duos, des soeurs effectuant des pas de danses). Sur le côté, autre confrontation, photographique cette fois: des prostituées face à des évêques.
Par rapport aux inspirations de Fellini, notons ses propos: « J’aime la chorégraphie de l’Eglise catholique. J’aime ses représentations immuables et hypnotiques, ses mises en scènes somptueuses, ses chants lugubres, le catéchisme, l’élection du nouveau pontife, le grandiose appareil mortuaire. Les mérites de l’Eglise sont de n’importe quelle création de la pensée, qui tend à nous proposer contre le magma dévorant de l’inconscient ».
« Roma », 1972
Dans ce même film – « Monumental » (Jean-Louis Bory/ »Le Nouvel Observateur »/02-05-’72), « Fantastique explosion cinématographique » (Henri Clapier/ »Combat »/15-05-’72) -, une incroyable « grande bouffe » urbaine, sur une terrasse romaine, à quelques mètres des rails des trams, celle-ci étant à découvrir dans cette même salle, via un écran vidéo. Attention à l’indigestion de spaghettis, de raviolis, d’escargots, …!
Ensuite, c’est le cirque et ses clowns qui nous attendent, avec « La Strada » (1954/It.-Fr./115′): « Il s’est manifesté en moi, tout de suite, une traumatisante et totale adhésion à ce vacarme, ces musiques, ces monstrueuses apparitions, ces risques mortels. J’ai regardé le chapiteau comme une usine de prodiges, un lieu où s’accomplissent des choses irréalisables pour la majeur partie des hommes … L’absence de significations intellectuelles est justement le spectacle qui me convient »… Il se dit même que Fellini, enfant, aurait fugué pour suivre des saltimbanques! … Sur grand écran, une séquence où un homme se couche à 1m50 sous la piste de sable, avec l’intention d’y rester 40 jours, sans boire ni manger! … Fellinien, assurément! …
Une photo nous montre Anthony Quinn (1915-2001), dans le rôle d’un briseur de chaînes, « Zampano », qui, dans ce film, est secondé par « Gelsomina », une fille un peu attardée, interprétée par Giulietta Masina (1943-1993), l’épouse de Fellini, que l’on retrouve, avec des dialogues de Pier Paolo Pasolini (1922-1975), interprétant une prostituée, dans « Nuits de Cabiria » (1957/It.-Fr./118′), qui lui vaut un « Prix de l’Interprétation féminine », à Cannes. Au total, présente à l’écran dès le 1er film réalisé par Fellini, elle figure au générique de 8 de ses films, son physique svelte contrastant avec les formes généreuses de nombre de femmes que son mari aime caricaturer et filmer.
Pour Fellini: « La prostituée est le contrepoint essentiel de la mère à l’italienne. On ne peut concevoir l’une sans l’autre. Et tout comme notre mère nous a nourris et habillés, de même, je parle pour notre génération, la putain nous a initié à la vie sexuelle, avec la même inéluctabilité ».
Pour le casting de ses actrices et figurantes (« J’en voix mille pour en mettre deux dans mon film »), revenons au magazine « Vogue ». Encadré, nous retrouvons le numéro de décembre 1972, des lettres de candidates, telle celle-ci: « Je m’adresse à votre Excellence afin que vous ayez la complaisance de m’appeler en vue d’un bout d’essais. Je soumets mon physique excellent qui bénéficie des mensurations indiquées … bouche séduisante (à ce que l’on dit), … nombre de cheveux remarquable, … ». Pour les voix, il lui arrive d’organiser des castings après le tournage, afin de choisir, en post-production, celles qui colleront le mieux à ses personnages.
Evoquant cette post-production, Fellini déclare: « J’introduis les dialogues dans le film après le tournage. L’acteur joue mieux ainsi, n’ayant pas le souci de se souvenir du texte ». « Il me semble que le studio est l’endroit où les images mentales peuvent être réalisées en contrôlant tout, exactement comme le fait un peintre, sur une toile, avec un pinceau ».
Un titre de film nous interpelle: » 8 et demi » (1963/It.-Fr./138′), l’histoire fictive d’un cinéaste dépressif, avec Anouk Aimée (°1932), Claudia Cardinale (°1938) et Marcello Mastroianni, sorte de double de Fellini à l’écran, déjà présent dans le 1er film de ce dernier, ayant choisi ce titre, puisqu’il s’agit du 8ème film dont il est le seul réalisateur, « Les Feux du Music Hall » n’ayant été réalisé qu’à 50% par Fellini, Lattuada en étant le co-réalisateur.
Une vidéo nous montre deux publicités qu’il réalisa pour « Barilla » et « Campari », même si Fellini nous dit: « Pour moi, la télévision n’a rien à voir avec le cinéma, elle réduit, elle mortifie les films. De plus, je ne crois pas qu’il y ait un style télévisuel … La télévision est un appareil ménager, elle ne peut restituer les images d’un authentique cinéaste ». Il est d’autant plus furieux lorsque Silvio Berlusconi autorise, en Italie, de couper la projection d’un film pour présenter des annonces publicitaires.
L’expo nous livre quelques autres pensées de Fellini: « La musique d’un film est un élément marginal secondaire, qui ne peut tenir la 1ère place qu’en de rares moments … J’ai la sensation que la musique établit une communication mystérieuse qui va vous posséder presque totalement. Alors, pour protéger mon autonomie, je la refuse ». « Je tends même à souligner par le maquillage et le costume tout ce qui peut mettre en évidence la psychologie de la personne ». « Je crains le scénario. Odieusement indispensable. Pour travailler, j’ai besoin d’établir avec mes collaborateurs une complicité de camarades d’école, un compagnonnage de lycéens, les mêmes goûts, les mêmes plaisanteries, une atmosphère de contestation, de dérision du travail qu’on entreprend de faire ».
Venons-en au film le plus mis en lumière à Gent: « La Dolce Vita », pour lequel Fellini s’est inspiré de faits réels (« Mes collaborateurs et moi-même n »avons eu qu’à lire les journaux
pour trouver des éléments de documents passionnants »), comme cet hélicoptère quittant le 1er mai 1956, la Piazza del Duomo, à Milan, avec une statue du Christ, supposée représenter l’unité des travailleurs, attachée à son côté droit, pour la déposer sur la Place Saint-Pierre, à Rome, tel que filmé par la « CIAC » (« Compagnie Italienne d’Actualité Cinéma »). Dans sa fiction, les premières images montrent une statue nettement plus grande, suspendue à un impressionnant hélicoptère « Agusta », ce que nous pouvons voir sur un grand écran. En outre, il s’inspire, également, des dessins, publiés en couvertures, du journal « La Domenica del Corriere », certaines étant exposées près du reportage vidéo.
Mais la scène la plus mythique s’inspire d’une photo publiée dans « Il Tempo », en 1958, montrant Anita Ekberg (1931-11/01/2015, et oui, d’une triste actualité) – Miss Suède 1950, découverte pour le cinéma par John Wayne (1907-1979), lauréate du « Golden Globe » du « meilleur espoir féminin » 1955 – se déplaçant seule dans le bassin de la « Fontaine de Trevi ». Fellini (« Elle était d’une beauté surhumaine … Mon Dieu, pensai-je, faites que je ne la rencontre jamais ») s’en inspire et lui demande, sept mois plus tard, de marcher, à nouveau, dans l’eau, jusqu’à mi-cuisses, de cette célèbre fontaine, mais cette fois, face à Marcello Mastroianni., pour réaliser cette scène célèbre de « La Dolce Vita », qui demeure, en 2015, l’un des moments les plus emblématiques du cinéma.
« La Dolce Vita », 1960
Découvrant cette « bombe suédoise », telle qu’elle fut surnommée, Bob Hope (1903-2003) déclara: « Anita Ekberg? C’est à ses parents qu’il faudrait donner le Prix Nobel de l’Architecture ». Aussi, le commissaire de l’exposition, Sam Stourdzé, a décidé de consacrer un mur entier à une trentaine de couvertures de « Tempo », « Ciné Monde », « Ciné Revue », « Jours de France », « Play Boy », …, qui lui sont consacrées. Quel contraste avec l’état de pauvreté dans laquelle elle se trouvait depuis de nombreuses années! Et c’est à proximité de la « Fontaine de Trevi », qui la rendit mondialement célèbre, que se déroulèrent ses obsèques, ce 14 janvier.
Mais cette même scène contribua avant tout, bien sûr, à la réputation de son réalisateur dont les films furent 24 fois nominés aux « Oscars », en recevant 8, 4 pour le « meilleur film étranger »: « La Strada », « Les Nuits de Cabiria », « 8 et demi » & « Amarcord » (1973/It.-Fr./127′); 3 pour les « meilleurs costumes »: « La Dolce Vita » & « 8 et demi » (à Piero Gherardi), ainsi que « Le Casanova de Fellini » (1976/It./148’/costumes de Danilo Monati); sans oublier celui décerné, en 1993, pour l’ensemble de son oeuvre.
Alors, il vous reste une semaine pour éveiller vos sens, en découvrant la vie à l’italienne, grâce à l’oeuvre de Frederico Fellini. Passez donc par le « Caermersklooster », à Gent, pour écouter plusieurs entretiens avec différents réalisateurs; voir de nombreux extraits de films, affiches originales, caricatures (telle celle d’une chaussure de luxe pour dame, ayant pour talon la représentation d’une dame du bas des fesses jusqu’aux pieds), bandes dessinées, illustrations à la gouache, romans-photos, photographies en noir-et-blanc (telles celles réalisées par sa photographe de plateau, Deborah Beer, et celle de George Simenon avec Jeanne Moreau) ou en couleurs; lire ses pensées sur ce que doit être, selon lui, le cinéma, telle cette dernière citation :: « Je ne sais pas regarder les choses avec détachement, à travers la caméra par exemple. Je me fous de l’objectif. Je dois être au milieu des choses. J’ai besoin de connaître tout le monde, de faire l’amour avec tout ce qui est autour de moi ».
Exposition ouverte du mardi au dimanche, de 10h. à 17h. Prix: 08€ (06€ pour jusqu’à 25 ans inclus et à partir de 60 ans, demandeurs d’emploi, enseignants, personnes à mobilité réduite et leur accompagnant; 04€ entre 06 et 11 ans inclus; gratuité jusqu’à 05 ans inclus). Plus d’infos sur: www.caermersklooster.be.
Yves Calbert,
avec des textes de Frederico Fellini.



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