« Notre Congo »
BRUXELLES
Jusqu’au 30 novembre, replongeons nous dans l’esprit de l’époque coloniale, en visitant l’exposition « Notre Congo », au « Musée Belvue », réalisée par l’ ONG « Coopération Education Culture », avec le soutien, notamment, de la « Coopération au Développement » et du « Musée royal de l’Afrique centrale ».
C’était l’époque où, en Belgique, les enfants (parfois même, des adultes) collectionnaient des chromos que l’on retrouvait dans les emballages des chocolats « Jacques » (1948), ou, offerts par les bouillons « Liebig », par séries de six, plusieurs étant consacrées à notre ancienne colonie, voire par d’autres firmes telles « Franco-Suisse », « La Vache qui rit », « Côte d’Or », « Victoria », …, évoquant différentes ethnies (plus de 500 répertoriées): Ababua, Bakuba, Balega, Batetela, Bushongo, Mangbetu, Wasongola, …, s’exprimant (pas moins de 80 dialectes) en: lingala, kikongo, kiswahili, tshiluba, …
En 1934, le Ministre belge des Colonies, Paul Tshoffen (1878-1961), imagine la création de la « Loterie Coloniale » (qui deviendra notre « Loterie Nationale », en 1962), qui édite nombre d’affiches, jeux de cartes, boîtes d’allumettes, …, et même un jeu de l’oie (édité à 300.000 ex.), dont l’iconographie – présentant des scènes congolaises, avec séduction pittoresque et condescendance railleuse – revient au peintre Henri Kerels (1896-1956).
« Défense de donner à manger aux Noirs, ils sont nourris », tel est l’incroyable texte qui figurait là où 260 Congolais se retrouvaient « exposés » au sein d’un village reconstitué, en 1897, au « Palais des Colonies », à Tervuren. Ces figurants étaient logés au-dessus des écuries. Sept décédèrent, victimes d’une pneumonie. Plus près de nous, en 1958, un village semblable s’était ouvert à l’occasion de l' »Exposition universelle », sur le plateau du Heysel. Il fut rapidement fermé, des individus ayant cru intéressant de lancer des bananes et des cacahuètes aux personnes de race noire ainsi « exposées ». Une autre époque, assurément! …
Surprenante aussi, la photo publiée sur l’entièreté de la couverture du N° 158 de l’ « L’Illustration coloniale, Journal mensuel de Propagande coloniale » » (publié il y a tout juste 80 ans, le 01/11/1934), au titre particulier: « La Communion des Races par la Cigarette »… Nous y découvrons deux enfants, l’un assez grand, de race blanche, et tout de blanc vêtu, jusqu’à son casque colonial, et l’autre, nettement plus petit (+/- 8ans), complètement dénudé, ce dernier recevant … une cigarette de son aîné!!! … Aucun contact entre les deux enfants, si ce ne sont les bouts de leurs cigarettes, l’une allumant l’autre! … Le cadet n’a de regard que pour sa cigarette, l’aîné penchant sa tête vers le petit Noir à qui il vient, lui l’enfant aisé, d’offrir ce … « cadeau »! … Une évocation de la supériorité, toute coloniale, du citoyen blanc, sur le citoyen noir, mais une image ambiguë, également, puisque illustrant l’attendrissant rapprochement entre deux enfants de races différentes! …
En 1945, un manuel scolaire, destiné à la 3ème primaire, oppose des illustrations montrant un village congolais et sa casserole chauffant devant une hutte, un campement de Touareg, et une ville occidentale, avec son église, ses ponts, voitures et maisons, évoquant « ce que l’on voit chez les sauvages, nomades et dans les pays civilisés » (sic)…
Outre nombre de cartes postales, de couvertures du « Soir Illustré » et du « Patriote Illustré », nous découvrons une photographie, publiée, en 1901, par les Pères blancs d’Afrique, montrant des noirs enchaînés, avec la légende: « Noirs en contact avec la Civilisation, c’est à dire la Chaîne »! … Mais ici, nous remontons à l’époque de l’Etat indépendant du Congo (1885-1908), loin d’être « indépendant », puisqu’étant alors la propriété privée de Léopold II (1835-1909), notre second Roi, qui offrit son « Etat » à la Belgique en 1908, devenant ainsi le Congo belge, jusqu’en 1960, année de l’indépendance du Congo.
De retour à l’époque de l’ « Etat indépendant » de Léopold II, nous sommes confronté à une couverture du « Moniteur du Congo », présentant ce qu’était la « chicotte » (lanière de peau d’hippopotame tordue et séchée avec laquelle certains colons fouettaient des Noirs), d’après le tableau de Edouard Manduau (1855-1938) « La Civilisation en Afrique Centrale – La Chicotte » (1884). Plus sereine, une photographie des « Congolans », tels qu’on appela le roi tribal Massala (Bas-Congo) et ses compagnons, posant sur les marches d’un pavillon de l’ « Exposition universelle d’Anvers », en 1885.
Si la 1ère salle présente un film documentaire (30′), intéressante introduction à la visite, la dernière salle, nous rapproche de l’actualité, via des vidéos présentant différents interviews, ainsi que quelques peintures d’artistes congolais, telle l’acrylique sur toile (120×150) due à Chéri Samba (°1956), « Matonge-Ixelles, Porte de Namur! Porte de l’Amour? » (2002). … Mais là, nous sommes bien loin de l’époque des colonies, celle des « charmants négrillons » (sic), des « Bons Pères » et des « Bonnes Soeurs »! … Quelle évolution! …
… Et au moment de quitter ces trois salles d’exposition, remémorons-nous les propos tenus par son co-concepteur, Jean- Pierre-Jaquemin: « Toute propagande politique, économique, religieuse ou sociale est, dans son essence, une entreprise d’aliénation. Son but est de diffuser, au sein d’un large public, un ensemble d’idées et de valeurs censées façonner des convictions ou des comportements, les images et les textes étant des instruments de cette entreprise. … Ces images méritent d’être questionnées en fonction d’une seul distance, celle qu’il faut toujours garder entre réel et imaginaire, entre vérité et mensonge ».
Du mardi au vendredi, de 09h.30 à 17h. Samedi & dimanche, de 10h.à 18h. Entrée libre. Catalogue broché noir-et-blanc (« CEC »/2003/86 p.): 10€. Sites: www.belvue.be & www.cec-ong.org.
A noter, qu’une autre exposition est accessible, libre d’accès, au « Musée Belvue »: « Albert & Elisabeth, le Film de la Vie d’un Couple royal », à laquelle nous avions consacré un article en août dernier, alors qu’elle était présentée au « Palais Royal », jouxtant ce musée. Nous y découvrons un uniforme et un casque du Roi Albert (1875-1934), une tenue d’infirmière de la Reine Elisabeth (1876-1965), un discours audio du Roi, de très nombreuses photos, ainsi qu’un film présenté en séquences vidéo, montrant de nombreuses étapes de la vie des Souverains (funérailles de Léopold II, tranchées de l’Yser, « Hôpital Océan », alpinisme en Italie, patinage et bobsleigh à St.-Moritz, séjours au Congo belge et aux Etats-Unis, …, Marche-les-Dames). A voir ou à revoir!
Yves Calbert.
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