Brussels Star

Le Royal Philarmonique de Liège.

L’Orchestre Philarmonique de Liège se produit quelques fois par an à Bruxelles. Ce jeudi soir, ce fut une prestation grandiose avec le chef d’orchestre Christian ARMING et les deux virtuoses Ferhan et Ferzan ÖNDER, deux jumelles si envoûtantes et si exceptionnelles.

En quelque sorte, ce concert mettait en appétit les Bruxellois avant le « Festival les Orientales » qui aura lieu à Liège entre le 21 et le 23 février et qui évoquera l’Orient fantasmé, l’Orient, l’Orient imaginé et l’Orient réel avec en solistes les magnifiques soeurs Önder mais aussi la jeune Lu Yiwen

Le  compositeur et artiste turc Fazil SAY a décidé de composer ce concerto qui se nomme Gezi Park 1 en souvenir des violences policières qui ont fait suite à un sit-in au Gezi Park et à la Place Taksim  à Istanbul, causant au moins 6 morts et 4000 blessés. Comme une trainée de poudre, le mouvement contestataire s’était répandu et avait essaimé dans toute la Turquie. Le vice-premier ministre Bulenç Arinz avait été obligé de présenter ses excuses aux manifestants.

Fazil SAY. Fazil SAY a composé ce concerto pour les soeurs Önder, avec qui il travaille régulièrement. Il devait originellement composer un concerto nommé « Twins » pour évoquer la gémellité des deux pianistes mais l’actualité l’a rattrapé. Fazil SAY a déjà été inquiété par les autorités turques pour ses positions démocratiques.

Les soeurs ÖNDER.

Les soeurs ÖNDER ont été magnifiques. Elles vivent leur musique dans leur coeur et dans leurs tripes. Les voir se mouvoir face à leur clavier à touches blanches et noires est déjà un réel spectacle en soi. Leur interprétation, fantastique, leur sensibilité à fleur de peau qui se marque par la gradation des sons pour évoquer la nuit par exemple est un régal. Grâce au Philarmonique de LIège, un vrai orchestre complet avec percussions, cuivres, instruments à vent, violons et quelques instruments insolites, l’atmosphère du déroulement de cette journée tragique se ressent dans la musique. Tout commence par un pique-nique ensoleillé de familles heureuses. On parle, on chante, les enfants rient. la musique est douce, légère, entraînante. Puis on sent la menace monter. Les forces de police entourent peu à peu le parc, ceinturent les familles. les soeurs ÖNDER font ressentir l’angoisse sur leur piano si bien accordé. Puis, c’est l’attaque. La musique devient dure, rauque, hachée, tragique. Les crécelles de l’Orchestre donnent un feeling de gravité extrême. L’attaque dure, dure, dure, infiniment. C’est l’enfer. La musique est tendue, violente, menaçante. l’auditeur est interpellé dans tout son être. Cela dure plusieurs minutes puis la chute est elle aussi effrayante. Et c’est le silence, la mort, le sang qui concluent cette journée si bien rendue par les pianistes et l’Orchestre. A certains égards, le style du concerto est wagnérien, grandiose, élancé, tendu, plein de surprises et de rebondissements.

Une oeuvre politique.

L’oeuvre de Fazil SAY est une oeuvre politique. Et c’est comme cela que les soeurs ÖNDER l’ont vue et interprétée. Elles qui font partie de la classe éclairée et moderniste d’Istanbul n’acceptent pas la chappe de plomb islamiste, régressive et antidémocratique de l’AKP et du premier ministre Erdogan. Elles tiennent de leur mère, ancienne député et même si leur action se limitera toujours à la musique -leur vocation, leur raison de vivre- et l’on ressent leur engagement sociétal profond à l’aube aussi des élections générales du mois prochain en Turquie qui leur laissent quelque espoir..

Un concert bouleversant qui a mêlé virtuoses engagées, orchestre uni et chef d’orchestre inspiré. Un très grand moment de musique à Bozar qui se poursuivra par d’autres émotions à Liège et à Bruxelles cette année. Nous en reparlerons.

MD DESNERCK

fazilsay.com

www.ferhan-ferzan.com